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La fondation du Collège et la période française
Extrait de la brochure « le Collège de Delémont (1812 – 1962) Éditée en 1962 à l’occasion du 150e anniversaire du Collège de Delémont
Ce n’est que deux ans après la promulgation du décret impérial sur l’organisation générale de l’Université, que l’on parle, à Delémont, de l’établissement d’un Collège. Le 5 novembre 1810, le Conseil communal passe une convention avec l’administration de l’hospice, aux termes de laquelle cette dernière loue à la ville, pour une durée de neuf ans à partir du 1er janvier 1811, une partie du bâtiment des orphelins, l’hospice actuel des vieillards ou ancien hôpital, pour y établir l’Ecole primaire des garçons et une Ecole secondaire. Le loyer annuel est fixé à 300 francs. Le Conseil communal inscrit en même temps un crédit au budget de 1811 pour l’entretien du futur Collège. Il adresse au grand-maître de l’Université, M. Fontanes, à Paris, une requête pour obtenir l’ouverture d’un Collège.
Les affaires n’avançaient pas plus vite dans ces temps-là qu’aujourd’hui. La bureaucratie impériale avait aussi ses lenteurs. Et ce n’est qu’en 1812, au printemps, que les efforts de la Municipalité aboutirent. Le 20 avril de cette année, par deux arrêtés datés de Delémont, le Recteur de l’Académie de Strasbourg, muni des pleins pouvoirs par le grand-maître de l’Université, institue le bureau d’administration du Collège et nomme les professeurs. Le bureau d’administration est formé de MM. Holz, sous préfet de l’arrondissement de Delémont, Verdan, maire, Moreau, membre du Corps législatif, et du général en retraite Garobuan. L’enseignement est confié au Père Berbier et à MM. les abbés Parrat et Berberat. Le Père Berbier, qui fut principal du Collège de Bellelay, jusqu’à la fermeture de celui-ci, est nommé Principal. Quelques mois plus tard, l’enseignement des mathématiques est confié à un quatrième professeur, M. Hennet, curé cantonal.
C’est sur la base d’instructions très détaillées du Recteur de l’Académie de Strasbourg, M. L.-B. de Montbrisson, que le Principal de Collège, le Père Berbier, devait organiser et diriger son établissement. En voici quelques extraits :
Religion, morale : le Principal du Collège donnera tous ses soins à l’instruction morale et religieuse. Le Collège aura pour base de son enseignement les préceptes de la religion, la fidélité à l’Empereur, à la dynastie napoléonienne et l’obéissance aux statuts de l’Université qui tendent à former pour l’Etat des citoyens attachés à leur religion, à leur Prince, à leur patrie et à leur famille.
La correspondance avec le Recteur et réciproquement est franche, en vertu d’une décision de S.E. le Ministre des finances.
Le Principal tiendra quatre registres séparés. Le premier servira à inscrire les noms de tous les fonctionnaires, régents et maîtres attachés au Collège, avec les mutations ultérieures. Le deuxième est destiné à l’inscription, jour par jour, du nom des élèves qui entreront à l’époque de l’ouverture du Collège. Les mutations par entrée et sortie et les décès des élèves y seront exactement mentionnés. Le troisième servira à l’inscription des élèves par classes, avec observations sur leur conduite, leur caractère et leurs dispositions. Dans le quatrième registre, le Principal consignera les correspondances, rapports, délibérations, les actes et décisions quelconques qui concerneront son établissement. Tous ces registres devaient être soumis au Recteur qui les cotait et les paraphait. Le montant de la rétribution universitaire à payer par les élèves externes est de 15 francs par an. Du 1er au 5 de chaque mois le Principal adressera au Recteur la liste nominative des ses élèves. Du 1er au 5 de chaque troisième mois de trimestre, le Principal fera, à la caisse du Receveur de son arrondissement, le versement de la rétribution due par les élèves du Collège, pour tout le trimestre. Quand le Collège aura été organisé et mis en plein exercice, le Principal fera, au Recteur un rapport sur l’emploi des heures de la journée. Il lui fournira, en outre, des notes sur le local du Collège et lui fera connaître qui en est le propriétaire, quels sont les titres en vertu desquels les bâtiments sont occupés, quels sont les fonds annuellement affectés par la ville ; s’il y a des revenus spéciaux ou des donations particulières, le Principal est invité à procurer au Recteur les inventaires des biens qu’ont possédés les anciens établissements d’instruction existant à Delémont avant la Révolution. Le rapport précisera en outre les fonctions attribuées à chacun des régents, leur traitement annuel, l’indemnité dont ils jouissent, le prix de la pension, l’affectation du bénéfice du pensionnat, l’objet et le montant des dépenses ordinaires du Collège, l’objet et le montant des dépenses extraordinaires, la nature et le produit des revenus particuliers du Collège.
Aussitôt que le Conseil municipal aura voté son budget, le Principal du Collège réclamera de M. le Maire un extrait dûment certifié de l’article concernant le budget particulier du Collège. Cet extrait, avec les observations du Principal, sera adressé au Recteur, qui transmettra le tout, avec son avis, à l’Université.
Tous les élèves qui se présenteront pour suivre le Collège devront justifier, par un certificat en bonne forme, qui restera entre les mains du Principal, ou qu’ils ont eu la petite vérole, ou qu’ils ont été inoculés de la variole, ou enfin qu’ils ont été vaccinés, autrement ils seront tenus de se faire vacciner sur-le-champ. Cet objet est spécialement recommandé au Principal, qui dressera le plus promptement possible, un tableau des élèves de son Collège servant à justifier qu’ils ont eu la petite vérole, ou qu’ils ont été vaccinés, ou enfin qu’ils ont été inoculés.
Aucun maître d’étude ou précepteur ne peut être employé au Collège sans avoir subi un examen par devant le Recteur, et sans être autorisé par lui à entrer en fonctions. Il ne peut également quitter l’Etablissement qu’au moyen d’une lettre d’exeat délivrée par le Recteur. Quand une place viendra à vaquer dans le Collège, le Principal en préviendra immédiatement le Recteur. Le Principal ne manquera pas d’informer exactement le Recteur de tout ce qui pourra concerner le Collège ; quand il s’agira d’objets majeurs, il conviendra d’attendre, avant d’agir, la décision du Recteur.
Ces instructions, manuscrites, règlent tout le fonctionnement du Collège. Dans quelles mesures ont-elles été appliquées ? Il est difficile de le dire aujourd’hui. Strasbourg est bien loin de Delémont. Et l’Empire commençait, dès l’hiver 1812, la période troublée et tourmentée de son déclin. Il avait d’autres soucis.
En ce temps-là, l’année scolaire commençait en automne. L’ouverture du Collège eut lieu le 5 novembre 1812, avec 73 élèves, dont un grand nombre d’étrangers, tous externes, car l’internat, ou pensionnat, ne fut ouvert qu’en 1821.
Dans la liste de ces élèves, conservée aux archives du Collège, nous relevons quelques noms comme : Seuret Olivier, né à Porrentruy le 29 novembre 1797 (5.11.12 – 30.8.13), de Blarer Joseph, né à Aesch le 28 octobre 1795 (8.11.12 – 18.5.13), de Blarer Antoine, né à Aesch le 8 juin 1799 (8.11.12 – 7.9.14), Quiquerez Jacques-Louis, né à Porrentruy le 15 août 1796 (25.11.12 – 29.8.13), Quiquerez François-Xavier-Edouard, né à Porrentruy le 15 octobre 1798 (25.11.12 – 29.8.13).
Dans la première série, on trouve des Schaffter, des Rais, des Fromaigeat, des Saner, des Steullet, des Kury, des Helg, des Koetschet, des Seuret, des Guerdat, des Aubry, des Buchwalder, des Piegai, des Comte, des Broquet, des Fleury, des Imhoff, des Joliat, des Champion, des Ory, des Greppin, des Parrat, des Hennet, des Chappuis, des Macker, des Monnin, des Froidevaux, des Steiner, des Schaller, des Wicka, etc. On y trouve aussi des noms étrangers comme Serrang, de Berg op Zoom, Bouley, de Château-Salnis, Heinrich, de Geberswiler, Bäumli, de Thann, Portaz, de Francfort, Schuler, de Belfort, Risacher, de Sulz, Klenck, de Belfort, etc. Auguste Quiquerez, le célèbre archéologue et inspecteur des mines du Jura, né à Porrentruy le 8 décembre 1802, a fréquenté le Collège du 4.11.19 au 1.9.20. Des 77 élèves entrés en 1812 jusqu’à la fin de l’année, 70 sont restés au moins un an. Les étrangers ont quitté l’Etablissement en 1813 et en 1814. Par leur âge d’entrée ils sont très différents : 1 de 22 ans, 2 de 20, 3 de 19, 5 de 18, 8 de 17, 7 de 16, 7 de 15, 5 de 14, 9 de 13, 6 de 12, 5 de 11, 2 de 10, 7 de 9 et 3 de 8 ans. La durée de leurs études au Collège est aussi bien variable. Trente élèves sont restés 1 an seulement ; 16, 2 ans ; 10, 3 ans ; 3, 4 ans ; 1, 5 ans ; 5, 6 ans ; 3, 7 ans et 2, 8 ans. Les études étaient réparties sur 6 ans et dans 3 classes de 2 sections. Des 73 premiers élèves, 15 se trouvaient en 1re Elémentaire, 20 en 2e Elémentaire, 12 en 1re Grammaire, 12 en 2e Grammaire, 6 en 1re Humanité et 8 en 2e Humanité. Le règlement de discipline, établi le 12 février 1811 par le Recteur de l’Académie de Strasbourg pour tous les élèves externes des Lycées, Collèges et autres écoles du ressort de l’Académie , avait pour but, non seulement le maintien de l’ordre et de la discipline, mais aussi de prévenir la perte d’un temps précieux pour les études et de donner aux familles la preuve de la surveillance constante de l’Université impériale à l’égard des enfants qui jouissent du bienfait de l’instruction publique. Il vaut la peine de s’arrêter un instant aux dispositions essentielles de ce règlement. Les élèves sont divisés en pelotons, selon leur domicile dans les quartiers de la ville, et les plus distingués d’entre eux portent le titre de chef de peloton. Les chefs de peloton conduisent leurs camarades à la sortie de la classe. En rang de deux, jusqu’à leur domicile et veillent à leur rentrée à la maison. Ils ont l’obligation de saluer avec respect et en silence les vieillards, les ecclésiastiques des différents cultes, les officiers et les fonctionnaires en uniforme. Les infractions sont punies par du travail supplémentaire ou par des arrêts à domicile. Les proviseurs des Lycées et les principaux des collèges, ainsi que les chefs de toutes les institutions, envoient aux parents de leurs élèves, à la fin de chaque trimestre, des notes sur l’application, les progrès des élèves et sur leur conduite en classe. Les doubles des notes sont adressés au Recteur de l’Académie de Strasbourg avec indication, sur feuilles spéciales, des élèves plus particulièrement dignes de louange et des élèves qui ont encouru le plus de blâmes. Les parents sont invités à veiller aux heures de sortie et de rentrée de leurs enfants et à leur interdire de vaguer dans les rues hors des heures de classe. Et pour l’application du règlement, le Recteur de l’Académie de Strasbourg ne badine pas. Huit jours après réception du document, il devait être appliqué. La première distribution des prix eut lieu le dimanche, 29 août 1813, sous la direction du bureau d’administration, « avec tout l’éclat dont elle était susceptible », eu égard aux faibles ressources de la localité. Sur le plan financier, le Collège a eu des débuts très modestes. Ses ressources provenaient des élèves et de la ville. Les élèves, tous externes, payaient une double rétribution, la rétribution universitaire fixée à 15 francs annuellement par le décret du 17 mars 1808 et perçue au profit de l’Université impériale, la rétribution pour le Collège, à raison de 18 francs par an, destinée à la caisse du Collège. La ville versait un secours annuel de 4130 fr. Le gouvernement impérial, lui, ne payait rien. Il se bornait à édicter des décrets, des règlements. Les traitements annuels avaient été fixés à 1400 francs pour le Principal et professeur d’humanité, 1200 francs pour le régent de grammaire, 1000 francs pour le régent de la classe élémentaire, 800 francs pour le régent de mathématiques. Les comptes de l’exercice 1812, établis deux mois à peine après l’ouverture des classes, portent 3330 fr. de recettes, dont 514 fr. de contributions des élèves et 2816 fr. de secours de la ville, ainsi que 3323 fr. 27 de dépenses, dont 2594 fr. 94 pour les traitements, 300 fr. de loyer, 92 fr. 60 pour le bois de chauffage, 242 fr. 50 de rétribution universitaire et 88 fr. 50 pour les prix et le matériel. Ainsi organisé, le Collège de Delémont paraissait devoir prendre un rapide développement. L’homogénéité et l’excellente culture de son corps enseignant étaient un gage de succès. La grande renommée de son Principal, le Père Berbier, ancien supérieur du Collège des moines de Bellelay et humaniste très distingué, avait attiré beaucoup d’élèves du dehors. Mais l’année 1814 devait être fatale à la prospérité de l’établissement. Les troupes des puissances alliées occupaient notre pays depuis fin décembre 1813, Delémont dès le 23 décembre. Les autorités françaises s’étaient enfuies. Avec elles le sous-préfet Holtz et le général Garobuan. Les élèves étrangers avaient été rappelés par leurs familles ; les recettes s’en ressentirent. La ville, pressurée par les intendants des armées étrangères, ne put s’acquitter que partiellement de ses obligations financières envers le Collège. Les comptes de l’exercice 1814, arrêtés le 19 septembre 1815 seulement, révèlent que la ville devait encore à cette date 2030 fr. de secours pour 1814 et que les maîtres avaient encore plus de 2000 fr. de traitement à recevoir pour l’année précédente. Par le Traité de Paris du 30 mai 1814, la France renonçait à toutes ses conquêtes et rentrait dans ses frontières du 1er janvier 1792. Parmi ses conquêtes, dont le sort allait être fixé par le Congrès de Vienne, il y avait l’ancienne Principauté épiscopale de Bâle. Le baron d’Andlau, cousin de Metternich, en avait été nommé gouverneur par les Alliés. Il fixa sa résidence à Arlesheim, dans un immeuble qui existe encore. Il nomma son beau-frère, Conrad de Billieux, commissaire du gouvernement avec siège à Porrentruy. Il divisa le pays en trois arrondissements : Porrentruy, Delémont et Erguel, avec des administrateurs à la tête de chacun d’eux, Migy, Delfils et Imer. Le 20 mars 1815, le Congrès de Vienne attribue l’Evêché de Bâle à la Confédération suisse et au canton de Berne. La ratification par la Diète helvétique intervient le 27 mai 1815 à Zürich. Mais, sans l’attendre, la Diète décidait, le 3 avril déjà, d’occuper militairement le pays et le 16 avril, le général Bachmann arrivait à Delémont avec son état-major. Le 23 août le gouverneur, baron d’Andlau, remettait l’ancien Evêché au commissaire fédéral, Jean-Conrad Escher, ancien bourgmestre de Zurich, qui l’administra jusqu’au 21 décembre de la même année, date à laquelle il remit les pouvoirs, à Delémont, à M. de Mutach, commissaire de Berne. Malgré tous ces évènements, la fuite des autorités françaises, l’arrivée des troupes alliées le 23 décembre 1813, le régime des Alliés avec le gouverneur baron d’Andlau, du début de 1814 au 23 août, le régime helvétique provisoire, avec le commissaire fédéral d’Eschert du 23 août au 21 décembre, et dès cette date, le régime bernois avec le commissaire de Mutach , la vie de la ville et de son Collège suivait son cours, non pas normal, il est vrai, car les difficultés financières étaient grandes. Il est heureux que le Collège, qui venait de s’ouvrir, ait survécu à ces bouleversements. La période française, qui n’a duré en fait que treize mois, joue un rôle bien modeste dans son histoire. Mais nous devons à l’Empire sa création, son statut légal, et une organisation qui s’est révélée assez solide pour assurer sa survie après la chute de Napoléon. La période française, malgré sa brièveté, n’a pas empêché de marquer fortement la vie de l’établissement, et aujourd’hui encore les anciens élèves aiment à rappeler que leur Collège, a été fondé par Napoléon 1er en 1812.
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